Ceci est un extrait de « Exister comme artiste : le cas genevois ».
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Le contexte genevois
Si l’objet de ce mémoire tient à la tentative de définir la place et le statut des jeunes artistes plasticiens à Genève, il est en premier lieu nécessaire d’esquisser le contexte genevois, une base qui nous aidera à comprendre le fonctionnement primaire et historique de cette société, et qui résonnera en nous tout au long de la lecture de cet essai. Chaque ville suisse a une identité propre et forte. Le système fédéral a fait que de Berne à Lugano en passant par Genève, chaque paysage urbain a su développer une vision singulière, dans tous les domaines, dont la culture. Genève a une position particulière sur le territoire : aux frontières de la France où le français est devenu la langue cantonale officielle, elle n’a pourtant rien à voir avec sa voisine en termes de politiques culturelles. Nous analyserons alors cet environnement aux multiples influences, d’un constat pragmatique à une irréfutable tradition suisse, aux raisons riches et variées.
L’initative privée
Nous l’entendions précédemment, la Suisse est fortement empreinte d’une bilatéralité identitaire par deux implantations importantes dans le paysage genevois : la culture et les entreprises. Le mécénat est une forme du financement de la culture en Suisse, particulièrement actif dans le Canton de Genève. Bien que cette aide va surtout aux grandes institutions, au détriment des acteurs culturels indépendants, elle encourage de manière générale la création et le développement de projets artistiques à plus ou moins grande envergure. Jean-Pierre Greff, quant à lui, voit définitivement cette initiative privée comme la différence marquante avec la France, bien plus frigide vis-à-vis du potentiel économique que la culture pourrait exploiter. D’où vient cette initiative ? Comment s’est-elle libérée ? De quelles façons se traduit-elle ?
La professionnalisation à l’école
“Si l’idée de professionnalisme appelle aujourd’hui spontanément l’exercice à plein temps d’un métier ancré dans une compétence dont la rémunération suffit à assurer l’existence, cette caractéristique ne va pas de soi (…) pour toutes les professions artistiques.” (1) Aujourd’hui, l’école d’art devient l’étape nécessaire et quasi obligatoire à la reconnaissance d’une activité artistique jugée professionnelle par le milieu de l’art, en-deçà des artistes autodidactes ou qui auraient suivis une formation tout autre. La formation qui y est dispensée s’accorde à faire cohabiter pratique et théorie, et forme de jeunes artistes à développer “une vision personnelle, avertie et critique” (2) qui enrichira et dialoguera avec la société, tout en mettant à leur disposition un large panel d’outils et de techniques. Ce qui fait aussi l’écart entre le temps d’apprentissage et de formulation, et le saut dans le monde professionnel. Si le terme de professionnalisation est un néologisme, il décrit cependant clairement ce dont se revendique l’école, l’acte de rendre professionnel. Car si être artiste est une profession, quels outils promulguent les écoles d’art aux étudiants ? Comment devient-on artiste professionnel, tant est qu’il n’y a pas en Suisse une réelle reconnaissance d’un statut de l’artiste plasticien ? Comment amortir cet écart souvent troublant et violent entre le temps de l’école, et la sortie de l’école ? Nous nous focaliserons ici sur les possibilités et le fonctionnement offerts par la Haute École d’Art et de Design de Genève envers les futurs artistes de la scène genevoise. “Il est par ailleurs entendu que le milieu du «marché» constitue lui aussi à son tour un modèle d’enseignement très fort pour les jeunes artistes. La question posée est ainsi simple et élémentaire : si les écoles continuent à être nécessaires, que vont-elles et doivent-elles enseigner aux élèves ?” (3)
Après l’école
“Voulez-vous sincèrement être pauvre ?… ou comment devenir artiste” (4). C’est ainsi que s’intitulait, dans les années 80, le cours de “pratique professionnelle” de l’école d’art de Glasgow mis en place par Sam Ainsley et David Harding. Vingt ans après, qu’en est-il ? Une fois le grand saut fait, que se passe-t-il pour les jeunes artistes en devenir à Genève ? À l’appui des entretiens réalisés, nous aborderons les différents parcours d’Eric Winarto, Beat Lippert et Luc Mattenberger, à travers les multiples formes de soutiens, du public au privé. Nous évoquerons notamment la manière dont ils survivent, pour deux d’entre eux contraints de passer par la case “alimentaire”. Et de fait, comment un artiste suisse s’inscrit juridiquement et socialement dans la société genevoise, et de quelle façon cette dernière participe d’une visibilité internationale. Nous verrons que sous l’apparent oasis suisse, se cachent de nombreuses contradictions qui nous amèneront à devoir repenser, au-delà d’un statut de l’artiste, la définition même d’un artiste. “Si n’importe qui peut devenir plasticien, si n’importe qui peut essayer, tout le monde ne réussira pas. Il faut un minimum d’audience. Cela n’est pas nouveau, bien entendu. Mais ce qui l’est c’est qu’il n’y a pas de lien logique entre le fait de suivre un parcours-type, professionnel ou éducatif, et le fait d’obtenir l’audience en question. Pour réussir, il vous suffit dorénavant de savoir vous vendre.” (5)
(1) Fabien Bergès, Théâtre amateur et théâtre professionnel : concurrences ?, mémoire paru à l’Université Parix X-Nanterre, 1999
(2) Présentation de l’Head, http://head.hesge.ch
(3) Emmanuel Mavrommatis, «Les écoles d’art : que faut-il en faire ?», De l’enseignement à l’engagement en art, éd. AICA Press, 2008
(4) Sam Ainsley, «Voulez-vous sincèrement être pauvre ?… ou comment devenir artiste», De l’enseignement à l’engagement en art, éd. AICA Press, 2008
(5) Christian Delacampagne, Où est passé l’art ?, éd. Du Panama, Paris, 2007
Contient des entretiens réalisés auprès de :
Eric Winarto
Beat Lippert
Luc Mattenberger
Jean-Pierre Greff
Véronique Yersin
Mémoire ♦ mai 2009
Licence 3 Métiers des Arts et de la Culture
Faculté d’Anthropologie et de Sociologie de l’Université Lumière Lyon 2
Directeurs de mémoire : William Saadé et Frédéric Khodja